Skip to main content
Histoire de la folie à l’âge classique
Lot 1061

Histoire de la folie à l’âge classique

Estimation : 200 / 400€
Année : 1972

En 1961, Foucault (1926-1984) soutient sa thèse intitulée “Histoire de la folie”. Objet de nombreuses critiques, elle n’est pas tant une histoire de la psychiatrie que celle des pratiques adoptées du Moyen Âge à Freud. Qu’est-ce qui a rendu possible la constitution de la folie comme objet de connaissance ?

La psychiatrie, spécialité médicale traitant de la maladie mentale, vient du mot grec psyche, “âme ou esprit”, et iatros qui signifie “médecin”.
Avant le XIXème siècle, la médecine ne se préoccupait pas des maladies mentales, des “fous”. À l’asile, le médecin n’était pas un savant mais celui qui faisait régner l’ordre.

Lorsque Michel Foucault soutient sa thèse de philosophie sur l’histoire de la folie à l’âge classique, il explore un nouveau monde. Ni histoire des idées, ni histoire des mentalités, Michel Foucault pose les jalons d’une histoire des expériences, des discours et des pratiques que l’Occident, concernant la folie, a adoptés jusqu’à Sigmund Freud (1856-1939), qui, le premier, a atténué la polarisation entre raison et déraison.
La thèse centrale de son ouvrage souligne que la folie n’a pas toujours été perçue comme une connaissance du savoir médical, la psychiatrie naît à la faveur d’une expérience nouvelle de la folie, qui apparaît donc au XIXème siècle.

Fou, malade mental, distinguer l’un de l’autre
Dans l’”Histoire de la folie”, en 1961, Foucault parle précisément de la maladie mentale, une sorte de confiscation d’une expérience par ce qu’il appelle le pouvoir médical. Mais en quoi consiste le pouvoir médical ? Dans l’établissement d’une sorte d’objectivation du fou qui finalement conduit à une impossibilité de dialogue entre le normal et le fou. C’est peut-être exactement ce dialogue que Foucault cherche à décrire dans son “Histoire de la folie”. Quel est le dialogue qu’il y a eu entre la normalité et la folie ? Entre la raison et la déraison ?

Luca Paltrinieri (Maître de conférences en philosophie politique, philosophie des sciences humaines et sociales à l’Université de Rennes 1)
Qu’est-ce que l’expérience ?
Le projet d'”Histoire de la folie” c’est de décrire le développement historique de notre rapport à la folie à travers la notion de l’expérience, un ensemble de notions, d’institutions, de mesures juridiques et policières, tout cela rentre dans une expérience entendue comme perceptions du fou et ensuite du malade mental. Ce qui caractérise cette histoire de la folie à l’âge classique c’est que ce n’est pas du tout une histoire de la psychiatrie au sens qu’il ne s’agit pas de partir de théories médicales, de dispositifs institutionnels mais de partir d’une perception : comment on a perçu les fous au Moyen Âge, à la Renaissance, à l’époque moderne. C’est une histoire de nous-mêmes surtout parce que la folie n’est pas qu’un objet qui attend d’être découvert, la folie s’est construite à travers une structure d’exclusion, ce grand partage entre folie et raison. 

Luca Paltrinieri
La folie, une expérience tragique
Au Moyen Âge jusqu’à la Renaissance, la folie représente une expérience tragique, dit Foucault. Le fou continue de renvoyer à l’homme l’angoisse de la mort, il rappelle à l’homme une vérité de son être fini, il est plus proche de l’expérience quotidienne même si le fou est déjà interné ou envoyé sur des navires, éloigné des villes, on perçoit dans la folie une sorte de danger, une menace qui est celle de rappeler à l’homme sa propre finitude. 
Dans la folie il y a le risque d’une expérience qu’on peut tous faire : le délire, une perte de soi, un brouillage entre rêve et l’éveil, tout ce brouillage qu’apporte le fou représente pour l’homme de la Renaissance une menace continuelle qui est celle de la perte de soi, qui rappelle quelque part la mort. 

Luca Paltrinieri
Dans son Histoire de la folie à l’âge classique, Michel Foucault définit “la folie comme un phénomène de civilisation, insistant sur le fait que soigner le fou n’est pas la seule réaction possible au phénomène de la folie ; il n’y a pas de culture sans folie et c’est ce problème absolument général des rapports d’une culture avec la folie que j’ai voulu étudier sur un cas précis, c’est-à-dire sur les réactions de la culture classique à ce phénomène qui paraît si opposé au rationalisme du XVIIe siècle et du XVIIIe siècle et qui est la folie »
(Entretien de Michel Foucault avec Nicole Brice à propos d’Histoire la folie, radio diffusé sur France Culture le 31 mai 1961).

La publication de Histoire de la folie, la thèse de doctorat de Michel Foucault, constitua un véritable événement intellectuel, et rares ont été les livres de philosophie à avoir fait couler autant d’encre. Ce que cherche à montrer Foucault, c’est qu’il n’y a pas une seule réaction possible à la folie et que le regard que l’on porte sur elle dépend de la culture dans laquelle elle s’inscrit. Le fou n’a pas toujours été considéré comme un « malade mental ».

Le fou, figure inquiétante.
Foucault esquisse donc les grandes étapes du rapport de la raison à la folie à partir de la fin du Moyen Age jusqu’à la naissance de l’asile au xixe siècle en s’appuyant sur des matériaux divers : archives, littérature ou iconographie. Alors que la lèpre disparaît du monde occidental à la fin du Moyen Age, une nouvelle inquiétude surgit : le fou devient un personnage majeur comme le montrent notamment le motif de La Nef des fous mais aussi les farces populaires, la littérature humaniste avec Eloge de la folie de Didier Erasme (1511) et l’iconographie de Jérôme Bosch à Pieter Bruegel. La Renaissance avait donné la parole aux fous, l’âge classique va les réduire au silence. La création de l’Hôpital général à Paris en 1656 est un événement historique capital qui marque l’ère du « grand renfermement ». Désormais, le fou est interné aux côtés des oisifs, des délinquants et des marginaux dans des centres qui visent à isoler et à faire travailler ceux qui pèsent comme une charge pour la société. L’internement n’a donc pas une visée médicale mais sociale et économique. Or, vers la fin du xviiie siècle, la pratique de l’internement tombe peu à peu en désuétude car elle apparaît comme une grave erreur économique. L’autre événement clé de cette histoire de la folie est alors la libération des enchaînés de l’hôpital Bicêtre en 1793 par Philippe Pinel. Cet acte signe la naissance de l’asile et la folie se constitue désormais comme maladie mentale. Le fou n’est plus guère avec les délinquants : il va se trouver enfermé mais seul. Et s’il est libéré de ses chaînes, il est maintenant asservi au regard médical. Particulièrement critique à l’égard de la psychiatrie, Foucault lui reproche de n’être qu’un monologue de la raison sur la folie.

Une mise en cause de la démarche.
Le livre suscita un tollé. Comment Foucault, pas à proprement parler historien et encore moins psychiatre, pouvait-il ainsi condamner tous les efforts faits par la psychiatrie ? Pour certains, il se livrait à un véritable « psychiatricide ». Et ce, au moment même où la psychiatrie se voyait contestée à l’intérieur de ses propres rangs par le mouvement de l’antipsychiatrie qui reprochait à l’institution d’être la complice de la société et qui récusait la notion de maladie mentale. Par ailleurs, les historiens dressèrent une longue liste d’erreurs de dates ou d’interprétation et mirent en cause le choix des archives utilisées. Gladys Swain et Marcel Gauchet dans La Pratique de l’esprit humain (1980) reprochaient pour leur part à Foucault de n’avoir pas vu dans l’instauration de l’asile le projet d’intégration et la volonté démocratique de considérer les malades mentaux comme des hommes à part entière. Qu’on soit d’accord ou non avec ses interprétations, reste en tout cas ce formidable geste de Foucault qui obligea toute une génération à réévaluer la psychiatrie et à entendre à nouveau la voix des fous, bien assourdie dans notre société.
(in Sciences Humaines)

In-8 broché à la bradel, coiffe supérieure un peu enfoncée, Gallimard 1972. 2e édition de cet ouvrage révolutionnaire, thèse de doctorat de Michel Foucault.